IGNACE HEINRICH

L'athlète incomparable qui vient de disparaître à presque 78 ans reste sans conteste le décathlonien français le plus talentueux. Son adolescence avait été marquée par une aventure exceptionnelle. Alsacien, c'est un "malgré nous" incorporé de force dans l'armée allemande à 19 ans. Expédié sur le front de l'Est, il a déserté, puis fait prisonnier par les Soviétiques qui l'ont enfermé dans l'effroyable camp de Tambov dont il a été l'un des rares rescapés. C'est donc en 1946, à 21 ans qu'il découvre l'athlétisme par hasard et prépare le monitorat d'E.P à Koenigshoffen, et signe au Racing Club de Strasbourg.  Il réussit dans plusieurs disciplines de sauts et lancers où ses proportions physiques font merveille. Il remporte un premier titre national au décathlon en 1947.

Ses qualités sont si évidentes que dès mai 48, Gaston Meyer on voit en lui un futur champion d'Europe. En juillet il remporte à nouveau le titre en battant le record de France (6687p). Sélectionné pour les J.O. de Londres il va y atteindre le niveau international. Les conditions atmosphériques sont épouvantables, alors que les autres sont en retrait lui améliore ses perf et se trouve 2è à la fin de la première journée, place qu'il conservera l'issue de l'épreuve (6974p) .Cette médaille d'argent Olympique est un exploit dans une spécialité où la France a toujours été pauvre. En 1949 il améliore deux fois son record et s'affirme le véritable homme orchestre de l'athlétisme français. Il sera même international dans la spécialité qui lui convenait le moins, le javelot !

Aux championnats de 1949, il remporte le titre en longueur (7.28m) plus des accessits au 110 haies, en hauteur et au poids. Aux championnats d'Europe de 1950, il n'est pas favori et les choses commencent mal car à l'issue de la première journée il accuse un retard énorme de 306p sur l'Islandais Clausen. Mais Ignace est un lutteur hors pair, après la perche où il bat son record de 30cm il est revenu au niveau du Nordique et finit par empocher le titre Européen après que son adversaire, très chevaleresque, lui eut serré la main avant même la fin du 1500m. En 51 il ira offrir une revanche à domicile à l'Islandais qu'il domine une nouvelle fois bien qu'il ait trébuché sur les haies, son point fort, et perdu près de 200 points (7476p).

En 1952 on pense en France qu'il est en mesure de rivaliser avec l'Américain Mathias, qui est certes en progrès. Mais l'addition des records personnels du Français le situent au-delà du record mondial. Cette année là ce sont les titres nationaux du 110 haies et de la perche qu'il épingle, c'est la preuve qu'il en très grande forme, et de plus sa combativité n'est plus à démontrer. Mais c'est un adversaire imparable qu'il rencontre à Helsinki : la malchance. D'abord une bourrasque de vent dans le 100m lui fait perdre de nombreux points. Puis en longueur, il se démet une vertèbre et lance le poids dans de mauvaises conditions. En hauteur une mauvaise réception a raison de sa cheville. Le 400 est un vrai calvaire. Il a perdu ainsi de nombreux points et se retrouve 4è à l'issue du premier tour. Piqûres de novocaïne, insomnie, le lendemain il est quand même au départ du 110 haies qu'il termine mal en 16". Il est temps d'arrêter ce combat inégal avec l'adversité. C'est une nouvelle médaille d'argent qu'il laisse ainsi échapper... dorénavant une page est tournée. En 1953, Heinrich quitte la France pour le Maroc puis reviendra en France où ses qualités d'animateur seront mises à profit. Il s'était retiré dans la région marseillaise.

       Alain BOUILLÉ (2003)

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