
Comme souvent dans son histoire, le Meeting de Paris, qui s’est déroulé le 20 juin dernier, a offert aux passionnés de l’athlétisme un florilège de superbes performances, l’élevant au 1er rang provisoire dans le classement mondial 2025 des meetings internationaux édité par WA (World Athletic).
Une belle occasion de revenir 40 ans en arrière, au 13 Juillet 1985, date à laquelle le Meeting de Paris fut le théâtre d’une performance d’exception. Mais resituons d’abord le contexte.
Si les meetings internationaux font aujourd’hui partie intégrante du paysage de l’athlétisme, le début des années 80 n’en était que les prémisses, notamment en France. Jusqu’à la fin des années 70, les athlètes internationaux avaient peu d’occasion de se confronter à leurs pairs à l’échelle mondiale, en dehors des Jeux Olympiques. Les Championnats du Monde n’existaient pas encore (première édition en 1983) et ne se déroulaient que tous les quatre ans (ce n’est qu’à partir de 1991 qu’ils passèrent à un rythme bi-annuel). Enfin, dans un contexte où l’amateurisme était la règle (il sera levé par l’IAAF en 1982), il n’était pas aisé de trouver des sponsors et d’attirer des athlètes non européens.
Les premiers meetings internationaux organisés en France virent néanmoins le jour à partir de 1975 (Meeting de Saint Maur en 1975, Nikaia et Décastar en 1976, Meeting de Paris en 1979, Meeting de Paris Saint-Denis en 1984), grâce à l’ingéniosité et à la détermination de quelques précurseurs [1]. C’est ainsi que naquit en 1979 le Meeting de Paris, à l’initiative de Jean Poczobut, alors DTN de la FFA, en collaboration avec Raymond Lorre, Président du Stade Français, qui avait déjà démontré son savoir-faire en créant, en autres, le marathon de Paris en 1976. L’édition du 13 Juillet 1985 s’apprêtait à accueillir la fine fleur de l’athlétisme mondial dans la plupart des épreuves du programme. Seule petite ombre au tableau : le saut à la perche (masculin, bien sûr, puisque l’épreuve féminine n’existait pas encore…). Il se trouve que la perche était également inscrite au programme du Nikaia qui se déroulait quatre jours plus tard, le 16 juillet, et que ce meeting avait eu la préférence des ténors de la discipline, et notamment de Serguei Bubka, recordman du Monde en titre avec 5m94, Thierry Vigneron, son prédécesseur avec 5m91, Pierre Quinon, Champion Olympique l’année précédente à Los Angeles et détenteur du record du Monde en 1982 ou encore Philippe Houvion, lui aussi recordman du Monde en 1980. Serguei Bubka n’était donc pas inscrit pour le Meeting de Paris … Et pourtant, il y participa bel et bien, inscrit de dernière minute.
Comment cela a-t-il été possible ? Pierre Weiss [2], qui était à l’époque directeur adjoint de Jean Poczobut, et donc au cœur de l’organisation du Meeting de Paris, en témoigne. « L’équipe d’organisation avait bien évidemment invité Serguei Bubka, mais celui-ci avait décliné l’invitation. Au matin du 13 juillet 1985, jour du Meeting de Paris, le journal L’Equipe publiait un article qui annonçait la participation de Bubka au Nikaia et son arrivée à Roissy Charles de Gaulle le matin même à 11h15. Réunion de crise au sein du Comité d’organisation : comment tenter une dernière chance d’avoir Serguei Bubka au Meeting de Paris ? Jean Poczobut fut mandaté pour convaincre Serguei, et se précipita à l’aéroport. Rappelons qu’à cette époque, il n’y avait pas de téléphone portable, pas d’internet, pas de visio-conférence. Il n’y avait donc pas d’autre solution que de se déplacer pour pouvoir échanger en direct avec Serguei et son entraîneur. Mission parfaitement remplie puisque non seulement Jean Poczobut réussit à le rejoindre à son hôtel mais, cerise sur le gâteau, il parvint à le convaincre de venir sauter au stade Jean Bouin le soir-même. Jean Poczobut ne donna pas de détails sur la manière dont il s’y était pris, mais qu’importe… le résultat était là.»
Le stade Jean Bouin était plein et le concours de la perche avait déjà démarré depuis pas mal de temps quand Serguei Bubka fit sa première tentative à 5m70. Il franchit la barre sans encombre et repartit vers sa zone d’attente. Il fit l’impasse à la barre suivante et se retrouva 1er du concours sans autre tentative, ses principaux adversaires ayant échoué à aller au-delà des 5m70. Les juges vinrent donc vers lui pour savoir quelle barre il souhaitait tenter.
Dans les tribunes, les regards se tournaient vers le panneau d’affichage du concours, chacun se demandant s’il allait tenter une barre intermédiaire avant de s’attaquer à son record du Monde, histoire de parfaire son échauffement (il n’avait fait qu’un saut jusque-là), ou bien s’il allait tenter directement 5m95 (son record du Monde était à l’époque de 5m94). Les spectateurs n’en crurent pas leurs yeux quand ils virent s’afficher une barre à 6m. On entendit alors un bourdonnement croissant dans les tribunes, chacun échangeant avec ses voisins sur ce choix. Il faut dire qu’à l’époque, 6m apparaissait encore comme une barre mythique, dont on sentait qu’elle serait franchie, mais sans doute pas avant plusieurs années. Les plus enthousiastes se félicitaient d’avoir la chance d’assister en direct à une tentative de record à 6m. Les dubitatifs auraient préféré qu’il tente d’abord 5m95 avant de s’essayer aux 6m. Les désabusés disaient que Bubka se contentait de la victoire et que ses tentatives à 6m n’étaient que des entrainements améliorés pour s’habituer à s’engager sur cette barre mythique. Quels que soient les avis exprimés, tous les regards étaient maintenant tournés vers le sautoir. Après deux échecs, Serguei Bubka s’élança pour son troisième et dernier essai. Entre le moment où on le vit effleurer la barre et celui où il se réceptionna dans le tapis, il y eut dans les tribunes comme un temps suspendu, les yeux écarquillés, les bouches ouvertes, puis aussitôt l’explosion de joie, les acclamations, les applaudissements. Il n’y avait plus de dubitatifs ni de désabusés. Il n’y avait plus que des enthousiastes. Il l’avait fait, il avait franchi 6m !
Mais l’histoire n’est pas terminée. Revenons au témoignage de Pierre Weiss : « Au cours des derniers mois précédant le Meeting de Paris, Serguei Bubka avait déjà battu quatre fois le record du Monde dont la prime était à l’époque de 10000 US$. Passée l’euphorie du record, Jean Poczobut rejoignit Raymond Lorre pour lui révéler la manière dont il avait réussi à convaincre Serguei Bubka de changer ses plans et de venir sauter le soir même au stade Jean Bouin : il lui avait promis une prime de 50000 US$ s’il parvenait à franchir 6m ! Chose promise, chose due… mais une telle somme (qui représentait l’équivalent de 5 records du Monde peu probables dans un même meeting) n’avait pas été provisionnée. Raymond Lorre se tourna vers ses deux principaux partenaires financiers (la ville de Paris et la BNP) qui lui répondirent que le Meeting avait déjà été financé et que la décision d’une rallonge, qu’ils allaient soumettre, ne leur appartenait pas. Mais il fallait bien honorer la promesse faite à Serguei Bubka, ce que fit Raymond Lorre en puisant dans ses fonds propres. Par chance, quelques mois plus tard, les deux partenaires annoncèrent chacun leur accord, au vu du caractère exceptionnel de la performance réalisée, d’une subvention complémentaire de 50 000 $, ce qui non seulement permit à Raymond Lorre de rentrer dans ses fonds, mais constitua également une avance de fonds pour le Meeting 1986 ! »
Nadine Debois - 03/07/2025
[1] Pour en savoir plus, n’hésitez pas à consulter la partie « Evénements/Classiques » du site de la CDH
[2] Nota : un grand merci à Pierre Weiss pour son témoignage « vécu » précieux
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