La dernière discipline à évoquer par cette série d’articles, à quelques jours du début des Jeux de Paris 2024, concerne plutôt une famille, celle des épreuves combinées qui aura connu plusieurs évolutions au fil des olympiades.

Le point de départ se situe en 1904 à Saint-Louis où le 04 juillet, à l’issue de journées consacrées à la gymnastique qui comportaient déjà un concours général incluant de l’athlétisme (100 yards, longueur, poids), s’était disputée le ‘’all-around championship’’, un décathlon avant l’heure, avec au menu, 100 yards, lancer de poids, saut en hauteur, 880 yards marche, lancer de marteau, saut à la perche, 120 yards haies, lancer de marteau lourd de 56 livres, saut en longueur et un mile pour terminer. Tom Kiely, natif de Ballyneale en Irlande, s'imposera pour le compte de l’équipe britannique. Ce format ne sera pas reconduit en 1908 et à Stockholm, en 1912, on verra naître deux épreuves, le pentathlon et le décathlon, la première subsistant jusqu’en 1924, la seconde ayant été menacée de disparition en 1920. Mais c’est bien le décathlon qui restera pour les hommes à partir de 1928, les femmes se voyant proposer le pentathlon en 1964, puis l’heptathlon en 1984. Nos meilleures représentantes y seront Marie Collonvillé, septième en 2004 à Athènes et Antoinette Nana Djimou, quatrième à Londres en 2012 après le déclassement de deux athlètes.

Restons à Londres mais revenons en 1948 avec trois Français parmi les engagés ; Jacques Cretaine, Pierre Sprecher et Ignace Heinrich. Ce dernier, né en 1925 en Alsace à Ebersheim a connu une jeunesse incroyable en étant enrôlé de force dans la Wehrmacht, fait prisonnier par les Soviétiques dans le camp de Tambov dont il sera l’un des rares rescapés. Il découvre l’athlétisme à son retour en 1946 et ses exceptionnelles qualités vont rapidement s’exprimer dans le très difficile décathlon dont il devient champion de France dès 1947. A Londres, alors que les conditions atmosphériques sont peu propices aux exploits, il réalise une excellente première journée, améliorant ses records au 100 m en 11’’6 et à la hauteur avec 1m86, pointant même en tête après cette épreuve et laissant la place de leader à l’Argentin Enrique Kistenmacher après le 400 m.

Lors de la deuxième journée, après le 110 m haies, Heinrich est toujours deuxième, laissant cette fois l’Américain Floyd Simmons prendre la tête. Arrive le disque où Simmons s’écroule mais un autre Américain, Bob Mathias, âgé de dix-sept ans, prend le relais avec 44m00 tout en voyant sa meilleure performance disparaître des résultats, un peu comme Jules Noël à Los Angeles dans le concours individuel. Heinrich, grâce à 40m94 conserve sa place. Avec des performances moyennes au javelot et à la perche, il va voir fondre sur lui Simmons tandis que Mathias s’envole vers le titre qu’il va conquérir malgré un 1500 m où ses forces vinrent à manquer. Pour la médaille d’argent, tout va se jouer dans cette dernière épreuve, tant redoutée des décathloniens. Heinrich va tenir bon, terminant son parcours en 4’43’’8 et laissant Simmons à plus de quatorze secondes. Il est vice-champion olympique avec 6974 points, derrière Mathias donc, 7139 pts mais devant Simmons, 6950 points.

La France connaîtra ensuite plusieurs finalistes, William Motti en 1984, Christian Plaziat et Alain Blondel en 1988, Laurent Hernu en 2004 et Romain Barras en 2008, et la perle rare va venir à l’issue de cette période. Champion du monde cadet puis junior, Kevin Mayer, après une première apparition en 2012 à Londres va arriver à maturité pour Rio de Janeiro en 2016. Si depuis 2012, son record n’a progressé que de 106 unités pour s’établir à 8521 points, il semble bien avoir le potentiel pour faire beaucoup mieux. Sa force réside notamment dans le fait d’être capable du meilleur à chaque épreuve justement dans le cadre d’un décathlon. L’Américain Ashton Eaton, détenteur du record du Monde et des titres olympique en 2012 et mondiaux en 2013 et 2015, est bien sûr le grand favori, le Canadien Damian Warner semblant son principal adversaire. Mais Mayer va enchainer les performances lors de la première journée, ne laissant jamais Eaton prendre trop d’avance. Eaton est cependant bien en tête à la fin de la première journée, devant l’Allemand Kai Kazmirek, Warner, et Mayer qui a battu ses records personnels au 100 m, au poids et au 400 m. Il totalise alors près de 200 points de retard sur Eaton mais talonne Kazmirek et Warner.

Toute la deuxième journée, Kevin Mayer va batailler. Si le 110 m haies l’a vu perdre quelques points sur Eaton et Warner, les épreuves suivantes lui seront très favorables, avec en point d’orgue un nouveau record à la perche à 5m40 et durant le javelot il sera même un instant en tête du décathlon avant qu’Eaton ne réagisse pour reprendre 44 points d’avance. Il ne reste que le 1500 m à courir. Warner et Kazmirek ne peuvent plus revenir et Eaton va assurer le titre en devançant Mayer de deux secondes mais ce dernier réalise un véritable exploit en totalisant 8834 points, record de France de Christian Plaziat pulvérisé. Comme Ignace Heinrich en 1948, il est vice-champion Olympique et l’avenir lui appartient alors que l’Américain se prépare à annoncer sa retraite.

Mayer va alors connaître une période très faste, champion du monde en 2017, recordman du monde en 2018, multi médaillé en salle à l’heptathlon. Il a ainsi remporté le titre européen en mars 2021 et s’il n’a pris part qu’à trois compétitions depuis, chacun sait qu’il sait se préparer pour les grands rendez-vous lorsqu’il arrive à Tokyo en 2021. Mais il doit faire avec un lumbago, et en première journée ce sera une suite de haut et de bas avec surtout un très faible chrono sur 400 m qui va le faire reculer à la 5^e place du classement provisoire. Heureusement, il venait de réaliser un improbable concours de hauteur avec 2m08, mais le podium était à près de 200 points et surtout le Canadien Damian Warner, vainqueur à près de 9000 points du meeting de Götzis en début de saison, était loin devant avec 4722 points contre 4340 pour le Français.

En début de deuxième journée, le 110 m haies permet à Warner de continuer à dominer l’épreuve en l’emportant en 13’’46, mais Kévin Mayer est derrière en embuscade, deuxième en 13’’90. Un disque correct à 48m08, une bonne perche à 5m20 et surtout un jet impensable à 73m09 au javelot, laissant par exemple l’Australien Ashley Moloney à seize mètres, vont le ramener sur le podium provisoire avant le 1500 m. Si le titre est déjà acquis, sauf catastrophe, à Warner qui peut encore faire 9000 points, de son côté Mayer va devoir continuer à se battre pour conserver l’argent, la même médaille qu’à Rio. En restant aux avant-postes dans le premier 500 m, Mayer va d’abord contrôler la situation. La suite va se faire autant sur les forces mentales que physiques. Warner est parti plus lentement et il passe Mayer au 1000 m. Garrett Scantling et Pierce LePage sont devant, mais Ashley Moloney est encore derrière. A 300 mètres de l’arrivée, Warner se lance dans un long sprint qui va, non seulement lui garantir le titre, mais aussi lui permettre de devenir le quatrième athlète à dépasser les 9000 points. Moloney, bien aidé par son compatriote Cédric Dubler va revenir sur Mayer à 120 mètres de l’arrivée, mais il est trop tard, les jeux sont faits. Warner totalise 9018 points, Mayer 8726, Moloney 8649. Du haut de ses vingt-et-un ans, s’il n’a pas pu reprendre Mayer, il a trouvé l’énergie pour résister au retour de Scantling, 8611 points et LePage 8604. Pour Mayer, qui a connu toutes les émotions depuis son record du monde à Talence en 2018 et son abandon à Doha en 2019, la médaille d’argent suffit amplement à son bonheur et fait aussi celui de l’équipe de France (crédit photo : But & Club – Ignace Heinrich).